Puisque Denis m'en parle, je vais aborder cet épisode aussi. On trouve deux récits de la "pêche miraculeuse": un dans Luc 5, avant la résurrection, l'autre dans Jean 21, après la résurrection.
La plupart des critiques modernes contestent le second et prennent le premier. En général, les végétariens chrétiens font le contraire: ils admettent le second, en voyant dans le premier juste une glose du second.
Voici d'abord l'interprétation de Jean 21, brièvement, selon la logique de certains végétariens. Les disciples, déçus par la mort de Jésus, redeviennent pêcheurs de poisson. Jésus permet un moindre mal - en remplissant leurs filets - afin d'empêcher le pire et ainsi il en profite pour pouvoir faire des reproches à Pierre et aux autres.
Je trouve intéressante cette perspective, mais elle ne me semble pas cohérente à l'état pur. Personnellement, je fais deux hypothèses: soit l'interprétation des végétariens est vraie, mais dans ce cas-là il faut aller jusqu'au bout, quitte à trouver des failles au récit et essayer de reconstituer l'histoire; soit prendre ce récit comme de la pure fiction, faite à partir d'autres récits.
Prenons la première hypothèse. Il y a quelques trucs incohérents dans le récit. Jésus est au bord du lac, et là il y a déjà des poissons. On ne sait pas d'où ils viennent. En tout cas, ce n'est pas Jésus ressuscité qui fait de la pêche pour ne pas s'ennuyer! Dans ce cas, je vois l'histoire autrement. Les disciples ont pêché «153 poissons», qu'ils ont déposés sur la rive, dans le feu. Ils retournent sur le lac. Ils aperçoivent Jésus sur la rive et c'est à ce moment-là qu'ils lui attribuent la réussite antérieure. Ils en ont honte, c'est pourquoi Pierre s'habille avant de nager vers Jésus. C'est le geste d'Adam après son péché. Sur la rive, Jésus rompt le pain (Jean 21:13), tout comme il l'avait fait avec les disciples d'Émaüs; c'est l'eucharistie qui entoure le mystère pascal et le partage aux autres. Comme profession de foi, il demande à Pierre: «M'aimes-tu plus que ceux-ci?» Ceux-ci, ce sont les poissons, en accusatif. Nous avons toujours tendance à mettre «ceux-ci» au nominatif, pour l'attribuer aux apôtres, et sous-entendre, d'une manière fort artificielle, un verbe «[m'] aiment». Aller de nouveau à la pêche, une fois que Jésus les avait appeler à laisser leurs filets pour devenir des pêcheurs d'hommes, c'est faillir à la mission. Jésus rétablit les apôtres dans leur mission.
Certains d'entre vous pourraient me demander: «Pourquoi dois-tu supposer une transcription erronée de la vérité historique dans ce récit, alors qu'il n'y a aucune raison, sauf tes à prioris?» Ma réponse: parce que le récit a des failles importantes et autrement ne tient pas debout.
1. D'où viennent les poissons sur la rive? Si ç'avait été un miracle, ç'aurait été noté.
2. Les gens se déshabillent avant de nager; Pierre fait l'inverse. Notons que pour les Zoroastriens, le péché des protoparents a été de tuer un chien et le manger; ayant honte, ils prennent eux-mêmes la peau du chien pour s'en faire des culottes. L'acte de Pierre, comme je viens de le dire, est celui de quelqu'un qui vient de commettre un péché et se cache, comme Adam.
3. Considérer «ceux-ci» comme les apôtres est hors du contexte et fait de Jésus un semeur de jalousie. Jésus avait montré auparavant l'égalité des apôtres.
4. Un Jésus cruel est tout le contraire de ce que dit le reste des évangiles. Relisez le passage du récit joannique: «ils virent là des charbons allumés, du poisson dessus, et du pain. Jésus leur dit: Apportez des poissons que vous venez de prendre.» (21:9-10). Jésus brûle les poissons sur le bûcher? Naaaan!
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